Un des premiers scientifiques français à avoir participé aux études sur les effets du pesticide Gaucho sur les abeilles souligne le caractère anormal de la disparition des butineuses. "Chaque fois que les pollinisateurs ont des problèmes, cela augure de problèmes plus graves si on ne réagit pas rapidement, ils servent de signal d'alarme", estime Jean-Marc Bonmatin, chimiste au CNRS d'Orléans, dans un entretien à l'AFP.
Les apiculteurs, qui réclament le retrait des "pesticides tueurs d'abeilles", ont de nouveau manifesté mercredi à Nantes, lors de la venue du président Jacques Chirac pour les premières assises territoriales de l'environnement.
La semaine dernière, le ministre de l'Agriculture Hervé Gaymard avait refusé de suspendre l'utilisation du Gaucho sur les cultures de maïs, tout en prolongeant l'interdiction sur le tournesol pour trois ans.
Ce produit, fabriqué par la firme allemande Bayer et commercialisé dans quelque 140 pays, est utilisé sur environ 70 cultures différentes.
La commission des toxiques a relevé à la mi-janvier que "l'évaluation du risque réalisée ne permet pas de démontrer que le traitement de la semence de maïs par la préparation Gaucho puisse être seul responsable (...) des mortalités d'abeilles et plus globalement de la baisse de la production apicole".
De fait, les causes de la mort des abeilles sont multiples : varroas (acariens), virus, pesticides en général et mauvais temps. Seulement, "le seul paramètre sur lequel on puisse jouer véritablement, ce sont les pesticides" fait remarquer M. Bonmatin.
Le CNRS et l'INRA regardent de près désormais les effets des pesticides "propres" - ils ne sont plus répandus sur les champs mais sur les graines avant semences - que sont le Gaucho et le Régent, un produit concurrent contre lequel les apiculteurs viennent de porter plainte.
Les études scientifiques ont mis en avant trois types de toxicité du Gaucho.
La toxicité aiguë, c'est-à-dire la dose létale qui tue immédiatement une abeille, est de l'ordre de 4 nanogrammes par abeille.
La toxicité sublétale, qui attaque les fonctions vitales de l'abeille sur quelques jours et perturbe sa capacité à butiner, est de 3 microgrammes par kg de nourriture.
Enfin, la toxicité surchronique, c'est-à-dire la petite dose qui, prise régulièrement, conduit à 50% de mortalité, commence dès 0,1 microgramme par kg.
"Or on retrouve dans les pollens de tournesol et de maïs 3 microgrammes/kg en moyenne, soit trente fois plus", souligne M. Bonmatin. "Mais il faut nuancer par des hypothèses d'exposition car les abeilles ne butinent pas que le maïs ou le tournesol", précise-t-il.
La firme Bayer avait affirmé dans un premier temps que le produit ne montait pas dans la fleur. Mais ses propres études ont montré par la suite qu'on en retrouvait 2 microgrammes/kg dans le nectar, selon le scientifique d'Orléans.
"Le principe de précaution est invoqué pour l'homme mais il ne l'est pas vraiment pour les abeilles", souligne M. Bonmatin.
Ce type de recherches se fait sous pression, étant donné les intérêts économiques en jeu. "Dès le début du programme, en janvier 1998 j'ai reçu personnellement une lettre de Bayer me menaçant d'un procès en diffamation", se souvient-il.
"Plus tard les apiculteurs ont déduit de nos recherches que les sols étaient tous contaminés car nous avions retrouvé des traces de toxiques dans 91% des sols, ce qui était tout de même une conclusion abusive et cela, aussi, nous a mis sous pression", a-t-il regretté.
Orléans
Jeudi 30 janvier 2003
http://www.apiservices.com/_menus_fr/index.htm?dossier_intoxications.ht…
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